Trop vite ! Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme

AUTEUR

Jean-Louis Servan-Schreiber, est né en 1937 et a écrit 11 livres dont Le nouvel art du Temps (2000), Vivre Content (2002), Pourquoi les riches ont gagné (2014) et C’est la vie (2015). Il a publié Trop vite ! en 2010, la même année où il lançait le magazine Clés dont le thème est « trouver du sens, retrouver du temps ».

APERÇU

Les ouvrages écrits par Servan-Schreiber indiquent bien qu’il s’intéresse depuis longtemps au bien-être psychologique et à l’usage que l’on fait du temps. Dans Trop vite ! il explore les conséquences de ce qu’il appelle le « court-termisme », causé par l’accélération des communications, sur la politique, la finance, les organisations, les êtres humains et l’environnement. À propos des individus, il explore les effets du court-termisme sur la consommation, sur les rythmes de vie et sur les relations aux autres — tant personnelles que professionnelles.

Le chapitre qui aborde l’impact du court-termisme sur la politique porte un sous-titre qui souligne déjà un enjeu important : La démocratie inadaptée à la frénésie des médias. Même si les exemples retenus par l’auteur sont surtout français, ses observations sont universelles :

Les démocraties sont des systèmes complexes, toujours fragiles, et plus encore dans un système politique mondialisé. L’enjeu crucial pour elles, c’est de conserver le temps nécessaire à la négociation et à la discussion collectives, même s’il faut pour cela ralentir la décision. (p. 50)

Mais…

Le manque de temps pour approfondir avant de décider est aggravé par deux rôles inhérents à ces postes. Un ministre n’est seul à son bureau que quelques minutes par jour. La plupart du temps, il reçoit des visiteurs, participe à des négociations ou à des prestations médiatiques, quand il ne fait pas le pompier volant. (p. 53)

Le chapitre sur la finance montre quant à lui comment ses propres impératifs s’étendent à toutes les sphères :

L’argent, grâce au démantèlement des barrières nationales, circule où il veut, à la vitesse de la lumière. Les banques du monde sont en concurrence totale entre elles et font valoir à qui voudrait leur imposer des règles plus contraignantes que celles-ci entraveraient leur liberté de manœuvre sur le marché mondial. Donc, pas question de leur mettre des carcans dans un seul pays, car elles enverraient immédiatement leurs capitaux ailleurs, là où ils sont mieux accueillis. (p. 86)

Il souligne encore l’effet d’entraînement de la finance sur les autres secteurs de l’économie dans son chapitre sur les entreprises :

Plus la finance prend d’importance, plus le tempo économique devient court-termiste, avec les risques de myopie, voire de fraudes, qui peuvent s’ensuivre. (p. 96)

Bien sûr, les organisations, commerciales en particulier, souffrent d’être condamnées au court-termisme :

Aux États-Unis, un rapport du Business Roundtable […] révèle que huit directeurs financiers sur dix trouvent inutile la publication de rapports trimestriels et souhaiteraient les supprimer : la nécessité de présenter de « bons » résultats tous les trimestres a, selon eux, des effets pervers en repoussant certaines dépenses utiles sur le long terme. (p. 92)

L’auteur parle ensuite des individus dans trois chapitres : la consommation, les rythmes de vie et les relations aux autres. En voici quelques extraits dans l’ordre :

La machine du crédit […] enferme avec elle tout emprunteur dans un court terme permanent. Il ne peut plus avoir accès au long terme, puisqu’il l’a déjà hypothéqué. (p. 122)

Nous sommes souvent nostalgiques de cet âge de l’insouciance où nous pouvions nous délecter du présent sous la protection de nos parents. Rien de tel qu’une bonne urgence pour nous replonger dans le présent. D’abord y faire face et jouir du plaisir d’y être parvenu. Il sera toujours temps de se préoccuper de la suite. En ce sens, le court-termisme nous rajeunit en nous rivant au maintenant. (p. 130)

Le potentiel de contacts, de rencontres, d’aventures est devenu illimité. Mais il est si récent que nous n’avons pas encore trouvé son meilleur usage. Les relations durables restent l’idéal de chacun, mais la réalité se vit dans l’instantanéité et l’incertitude. (p. 149)

L’auteur esquisse une piste de solution en écrivant :

Une bonne relation à soi-même peut devenir le moyen modeste, mais à terme puissant, de rouvrir les portes du long terme. (p. 163)

Bref, reprendre pied individuellement, les uns après les autres, afin d’affronter les plus grands défis, car en lien avec l’environnement il écrit cette phrase en apparence bien paradoxale :

Pour se sauver, notre espèce passablement déboussolée parviendra-t-elle à temps à admettre que le long terme est devenu sa première urgence ? (p. 183)

Il ajoute plus loin dans la conclusion :

Chacun de nous, pour son compte, peut prendre conscience des risques qu’il court à rester enfermé dans le présent, à ne pas anticiper les conséquences de ses choix, de ses actes. L’expérience de la vie est, à cet égard, la meilleure conseillère. Mais dans tous les systèmes collectifs — politiques, financiers, commerciaux —, dans tous les lieux d’influence, de pouvoirs, petits ou grands, un minimum de prise en compte du long terme va demander des transformations considérables. (p. 188)

Il conclut que la vitesse est inéluctable, mais qu’il est possible, individuellement, d’être plus réalistes quant à ce qui peut et doit être fait.

CE  QUE J’AI APPRIS DANS CE LIVRE ?

Il a surtout confirmé plusieurs opinions que j’avais développées au fil du temps. D’abord, qu’il s’agit d’un phénomène de civilisation qui touche tout le monde et qui ne s’arrêtera pas. Au contraire, tout laisse croire que l’accélération poursuivra sa lancée. La rapidité des communications et la mobilité procurent trop de bénéfices à trop de monde pour y renoncer. Mais j’ai souvent constaté à quel point les gens étaient prisonniers du court terme et quels effets néfastes cela avait sur eux et leurs organisations. Il faut donc plutôt apprendre à gérer ces modes de communication et la mobilité.

En accélérant, nous avons obtenu des résultats inespérés, mais nous avons perdu, en proportion inverse, en réflexion et en approfondissement. Est-il besoin de souligner que là réside le plus grand risque actuel qui pèse sur nos destins collectifs et individuels ? (p. 34)

DE QUELLE FAÇON OU DANS QUELLES SITUATIONS PEUT-ON S’EN SERVIR ?

Servan-Shreiber nous encourage, en réalité nous incite, à répondre aux multiples demandes qui nous assaillent en fonction de nos objectifs à nous et non pas de ceux des autres. Garder nos objectifs en tête, garder l’esprit ouvert et choisir.

L’idée maîtresse est de prendre un temps d’arrêt devant toute sollicitation et dans tous les domaines pour décider si cette demande correspond à nos buts. En ce sens, le livre peut servir dans toutes les situations, personnelles ou professionnelles, et en tout temps.

Dans le fond, j’ai proposé ce livre parce que même si on le sait bien que ça va trop vite, il est bon de voir ce phénomène illustré avec des exemples concrets, comme un miroir. C’est une lecture courte et qui en vaut la peine