Article rédigé en collaboration avec Isabelle Gagné
Quel style de gestion doit-on adopter dans un contexte d’ambigüité et de changement ? Plus spécifiquement : devez-vous resserrer votre contrôle et réduire le champ d’autorité de votre personnel ou bien favoriser l’autonomie et encourager l’initiative ?
Déléguer et responsabiliser sont des outils de mobilisation pour le gestionnaire qui s’en sert avec art.
Le meilleur manager est celui qui sait trouver les talents pour faire les choses, et qui sait aussi réfréner son envie de s’en mêler pendant qu’ils les font.
Theodore Roosevelt
La plupart des changements qui nous touchent sont très progressifs, si bien que nous ne nous rendons pratiquement pas compte que nous sommes en train de les vivre. D’autres sont soudains, inattendus, lourds de conséquences. C’est ce que nous appelons des crises. Les autres se placent entre ces deux extrêmes et correspondent à des périodes de changements soutenus et difficiles à gérer.
Une revue de la littérature donne l’impression que les conseils qui s’appliquent en temps de crise aigüe ne s’appliquent pas dans la gestion courante. C’est le point de vue énoncé dans cet article par ailleurs intéressant : http://www.fasken.com/fr/12-regles-a-suivre-pour-une-gestion-de-crise-rapide-et-efficace/
Selon moi, certains ne s’appliquent pas, mais bien d’autres concernent les gestionnaires qui traversent des périodes de changements importants marquées par l’incertitude. On peut donc tirer quelques enseignements de la gestion de grandes crises connues.
D’après vous, les crises suivantes ont-elles été bien ou mal gérées ?
Vous avez probablement coché « mal géré » pour les deux premiers événements et « bien géré » pour les deux derniers. La qualité de la communication a fait la différence : régulière, sobre et factuelle dans les deux cas. Les dirigeants ont décrit la situation telle qu’elle était connue à ce moment-là, autant les points positifs que les points négatifs de même que ceux qui n’évoluaient pas encore. Le moins de spéculation et de justification possible. Lors de l’évacuation de Fort McMurray, certains habitants de la ville ont fui vers le nord. Or, le feu a poursuivi sa progression dans cette direction. Rachel Notley n’a pas dit qu’il n’aurait pas fallu, qu’ils ne savaient pas et autres justifications. Un fait : le feu poursuit sa progression vers le nord et menace ceux qui y sont. Un plan concret : des convois sont organisés pour ramener ces gens vers le sud. Point.
Et vous… ?
Votre situation est moins marquée par l’urgence, il y a moins d’inconnues et les risques sont potentiellement moins importants que dans les crises mentionnées ci-dessus. Néanmoins, un dirigeant qui ne parle pas de l’éléphant qui se tient au milieu de la pièce perd toute crédibilité, car les gens entendent ce qui est dit et ce qui ne l’est pas. De même pour les justifications qui dénotent une tendance à revenir sur le passé et à soigner son image plutôt que de se concentrer sur le présent et de préparer les prochaines étapes.
Quelques principes clés d’une bonne communication :
- recentrez le débat chaque fois que cela est nécessaire et possible ;
- évitez les incompréhensions et les confusions causées par les non-dits ou le manque de précision dans la communication ;
- prenez du recul et basez la communication sur des faits concrets et non sur des rumeurs ;
- posez les problèmes et écoutez les avis des parties en présence afin de dépassionner les débats.
Parvenir à une bonne communication ne se fait pas tout seul. Il faut compter sur la contribution des membres de votre équipe et celle de vos collègues de même niveau.
Intéressez-vous à la dynamique au sein de votre équipe
Voici quelques conseils tirés de Diriger en temps de crise de Knightsbridge et du journal Les affaires. « Quand les gens subissent beaucoup de tensions, comme c’est souvent le cas en ce moment, on voit souvent apparaître une dynamique négative au sein des équipes. En tant que leader, vous devez comprendre que le comportement des gens en temps de stress est souvent très différent de leur comportement habituel. Travaillez avec les membres de votre équipe pour les aider à comprendre ce qu’ils contrôlent, ce qu’ils peuvent influencer et les aspects sur lesquels ils n’ont ni contrôle ni influence. Aidez-les à se concentrer sur les gestes utiles. Un leader doit aussi se pencher sur la dynamique dysfonctionnelle qui peut être associée à une mentalité de pénurie. Ce n’est pas le temps de montrer les gens du doigt et de les blâmer, mais plutôt de mettre à profit les forces de l’équipe. »
Voici quelques suggestions sur ce qui pourrait aider votre équipe :
- créez un point focal pour votre équipe ;
- efforcez-vous d’éliminer les éléments distrayants qui immobilisent les employés et les détournent d’activités utiles ;
- déterminez de façon systématique les initiatives à mettre en place ou à poursuivre (même quand les temps sont difficiles, un service à la clientèle exceptionnel, des procédures de travail utiles et efficaces ainsi que des efforts supplémentaires restent des atouts importants) ;
- déterminez quelles sont les activités ou initiatives à mettre en veilleuse ou à retarder ;
- donnez à chaque membre de votre équipe des éléments sur lesquels se concentrer et qu’il peut contrôler.
On trouve la notion d’exemplarité dans cet extrait d’un article de Yves Jaucyer de lca-performances. « N’oubliez pas que les hommes et les femmes sont plus sensibles aux valeurs de leadership que vous vivez réellement qu’aux attitudes que vous affichez superficiellement. Ils jugent très sévèrement les écarts entre ce que vous dites et ce que vous faites. Si vous exigez de la part des autres certains comportements, il vous appartient d’abord de donner l’exemple. C’est seulement dans ces conditions-là que votre leadership va susciter la volonté de développer l’efficacité personnelle et collective de ceux et de celles que vous dirigez. […] Créer une ambiance propice aux efforts collectifs et individuels, diminuer les niveaux de tensions et de débordements, instaurer la crédibilité et le respect mutuel. »
Il est important de fournir de l’énergie à votre équipe par votre attitude, vos paroles et votre vision stratégique. Les membres de l’équipe seront sensibles à la confiance que vous avez en eux. C’est lorsque les choses sont compliquées que le gestionnaire doit déléguer et montrer la confiance qu’il porte à son équipe. Enfin, on oublie trop souvent l’importance de célébrer. Il est important de profiter des premières réussites pour motiver votre équipe et lui montrer que le succès est possible.
Tout ce qui précède est facilité par une meilleure compréhension de la psychologie du changement. La plupart des participants à nos formations sur le sujet disent que ce qu’ils ont appris sur les comportements humains devant un changement, le cycle psychologique et les phases du changement les aidera certainement.
Chaque personne et donc chaque gestionnaire possède son propre style devant un changement. Connaître votre propre style est important pour gérer la dynamique du changement et les interactions avec vos équipes. D’ailleurs, nos participants mentionnent souvent qu’ils ont trouvé le volet d’auto-évaluation très révélateur.
Un très court test d’auto-évaluation que j’ai trouvé dans un PDF intitulé La Face cachée du management de transition publié par Adrien Jocteur Monrozier en mai 2014 vous donnera un aperçu. Il énumère les principales qualités recherchées chez un « manager de transition », une ressource externe temporaire dont le mandat est de réaliser une transition en temps de crise.
D’après vous, quel serait votre score, sur une échelle de 1 à 5 pour chacune d’elles ?
Ce sont là les cinq principaux points (du plus important au moins important) pour ceux qui recherchent ce genre de ressource externe temporaire (le sens de la communication ne vient qu’en cinquième place puisque les gestionnaires permanents demeureront généralement responsables des communications). Vous avez compris qu’il serait utile de développer, si possible, les qualités pour lesquelles vous vous êtes accordé un faible score, surtout celles du haut du tableau.
Collaborez avec vos collègues
Diriger en temps de crise de Knightsbridge aborde la question en ces termes. « Une réponse fréquente des dirigeants en temps de crise consiste à se replier et à se concentrer sur leur propre volet de l’organisation. Même si cette approche permet d’axer ses actions sur un point, cela peut renforcer les silos et limiter l’utilité des gestes posés. En temps de crise, les leaders doivent s’épauler. Ils doivent faire encore davantage preuve de cohésion et de motivation à relever les défis. Communiquez avec d’autres dirigeants. Mettez en place des occasions régulières de rencontre où les leaders pourront discuter des défis et des possibilités. Travaillez à l’établissement d’une solide communauté de leaders.
Préservez-vous
En conclusion, tout revient vers vous. Il est souvent recommandé dans les textes de travailler sur soi pour être capable d’analyser, de prendre du recul et d’agir efficacement. Faire du sport, discuter avec des dirigeants qui ont été confrontés aux mêmes problèmes, se documenter, passer des moments en famille ou entre amis. Bref, il est nécessaire de vous ressourcer, car comment pourriez-vous donner de l’énergie à vos équipes si vous êtes vidé ?
Le document de Knightsbridge est éloquent à ce sujet : « Pour arriver à mettre les choses en perspective, vous devez prendre soin de vous. Prendre en compte votre énergie et votre humeur. Faire plus d’exercice, manger plus sainement, mieux dormir. Prendre le temps de réfléchir. Faire tout cela même si cela semble contraire à ce que vous vous sentez l’obligation de faire. Il serait pire de vous lancer dans un tourbillon de travail ininterrompu. »