Une grande erreur en gestion du temps: vouloir tout faire (1/2)

Choisir quelque chose c’est aussi renoncer à autre chose, mais renoncer est un concept bien incompatible avec la nature humaine. Pourtant on ne peut pas tout faire. D’ailleurs, la sagesse populaire nous l’enseigne depuis longtemps. En effet, le proverbe « Qui trop embrasse mal étreint » remonte au 14e siècle !

Mais cette leçon semble difficile à apprendre même si elle est pourtant bien évidente : en entreprenant trop de choses à la fois, on se disperse et l’on ne réussit rien ou presque. Les choses que l’on réussit sont peut-être celles qui ont le moins de valeur.

Un article paru dans Pratique de l’organisation trimestrielle de Mckinsey démontre bien ce phénomène, encore plus dangereux au 21e siècle. Voici une bonne partie de l’introduction de cet article intitulé Une approche personnelle à la gestion du temps organisationnel écrit par Peter Bregman :

Le mythe le plus grand et le plus destructeur en gestion du temps est que vous pouvez tout faire si vous suivez seulement le bon système, utilisez la liste de choses à faire appropriée ou exécutez vos tâches de la bonne façon.

C’est une erreur.

Nous vivons dans une époque où le flux continu d’information et de communication, combiné avec notre accessibilité ininterrompue, signifie que nous pourrions travailler chaque heure du jour et de la nuit et toujours être incapables de suivre. Pour cette raison, choisir ce que nous allons ignorer pourrait bien être la décision de gestion de temps la plus importante et la plus stratégique de toutes.

Bergman illustre son propos avec l’exemple de Todd*, un directeur des ventes dans une grande firme de services financiers et qui est en rapport direct avec le PDG. Dans l’exemple, Todd se débat pour changer la façon dont les gens qui relèvent de lui approchent le processus de ventes.

Il demande plus de mesures et veut que ses employés ciblent des clients potentiels qui offrent un plus grand potentiel de rapporter des marges bénéficiaires plus importantes. Il demande aussi à ses gens d’être plus stratégiques quand ils décident quels clients potentiels ils visiteront et lesquels ils se contenteront d’appeler. Finalement, Todd veut que les gens soient plus courageux dans la poursuite de clients potentiels « improbables » pour lesquels les chances de succès sont faibles, mais où les récompenses seront élevées. Ce qui signifie être plus capable d’ignorer les clients potentiels dont les comptes sont peu susceptibles d’être particulièrement profitables. Ses objectifs sont clairs et ses demandes sont cohérentes, mais pourtant…

« Je leur ai dit tout cela plusieurs fois », relate Todd. « Je les ai même réunis pour une longue formation. Mais leur comportement n’a pas changé. Ils vendaient toujours de la même vieille façon aux même vieux clients potentiels ». Les vendeurs de Todd savaient ce qu’il attendait d’eux, mais étaient capables de le faire. Et ce n’était pas parce qu’ils étaient paresseux : ils travaillaient de longues heures et ils travaillaient fort. Le problème était plutôt que les vendeurs de Todd pensaient qu’ils pouvaient tout faire. C’est pourquoi ils résistaient à la segmentation de leurs marchés ou à la mesure de la possible rentabilité de chaque client potentiel avant de planifier une visite ; ils ne voulaient pas manquer une opportunité. Pourtant, parce que leur temps était limité, ils finissaient par manquer certaines des meilleures occasions.

Et vous, agissez-vous comme si vous pouviez tout faire ? Quel message envoyez-vous à vos équipes à ce propos ? Est-ce que pour vous, savoir prioriser c’est aussi savoir renoncer ? L’article de Bregman se poursuit ainsi :

L’objectif, la complexité et l’ambiguïté du rôle des cadres seniors peut non seulement créer des permutations quasi illimitées des priorités, mais rendent aussi l’évaluation de la performance ou de la productivité en temps réel plus difficile. […]

Nous ne plaçons pas souvent les problèmes organisationnels (telle que la faible cohérence entre les priorités de la stratégie de la compagnie ou une collaboration pauvre au sein de l’équipe de direction) dans le domaine de la gestion du temps qui est généralement vu comme un problème d’individu. […] De plus, la gestion du temps semble être une solution trop simple pour un défi organisationnel complexe.

Mais dans ce cas, la solution la plus simple pourrait être la plus puissante parce que la plupart des changements de comportements peuvent être effectués en changeant la façon dont les gens dépensent leur temps. C’est précisément là où la gestion du temps individuelle et la gestion du temps organisationnelle doivent se rejoindre.

Voyons d’abord comment y parvenir sur le plan individuel. Peter Bregman propose une approche fort simple et pragmatique :

Voici une approche allant droit au but. Identifiez jusqu’à cinq choses, pas plus, sur lesquelles vous décidez de vous concentrer durant l’année. Vous devrez passer environ 95 % de votre temps sur ces choses. Pourquoi cinq choses ? Pourquoi 95 % de votre temps ? Parce que si l’on veut que les choses se réalisent, il faut se concentrer dessus. Si, au lieu de passer 95 % de votre temps sur vos cinq activités à haut rendement, vous passez 80 % de votre temps sur vos dix activités prioritaires, vous perdez votre focalisation et les choses commencent à tomber entre les mailles du filet.

Par exemple, Todd, le directeur des ventes, pourrait inclure les cinq points suivants :

1 Clarifier et peaufiner la stratégie de vente pour obtenir de plus hautes marges bénéficiaires

2 Transmettre oralement et par écrit le message qu’il faut privilégier des clients potentiels pouvant apporter de plus hautes marges

3 Visiter des clients actuels et des clients potentiels offrant de plus hautes marges

4 Développer et motiver l’équipe de ventes pour qu’elle se concentre sur les clients offrant de plus hautes marges

5 Fournir un leadership exécutif inter disciplinaire

Voilà pour la réflexion ! Pour appliquer concrètement cette approche, voici ce que la méthode Qualitemps vous proposerait : identifiez vos cinq activités à haut rendement et planifiez-les toutes. Planifier une activité équivaut à décider d’une date, de décider d’un quand. Vous pourriez, par exemple, nommer cinq catégories dans votre gestionnaire de tâches d’après ces activités stratégiques afin de vous assurer que vous en exécutez une quantité adéquate. Si vous ne planifiez pas ces tâches, il sera très difficile pour vous de les prioriser.

Pour ce qui est du 95 % proposé par Peter Bregman, je suis d’avis que cette notion doit être nuancée. Il n’est pas réaliste de planifier 95 % de votre temps. Si 95 % de votre temps est planifié, comment réussirez-vous à gérer les courriels et toutes les nouveautés auxquels il faut tout de même faire face tous les jours ? En fait, le pourcentage réaliste varie d’un individu à l’autre. Par exemple, si vous êtes gestionnaire, vous devriez planifier de 50 % à 70 % de votre temps, le reste devrait servir à gérer la nouveauté et les imprévus.

Je corrigerais donc l’énoncé de monsieur Bregman de la façon suivante :

Le temps maîtrisable dont nous disposons (nous devons évidemment tenter d’optimiser celui-ci) devrait être occupé par un nombre restreint (cinq selon Bregman) d’activités stratégiques ou à haut rendement soigneusement choisies.

Que se passerait-il si cette approche était utilisée à l’échelle de toute une organisation ? Dans la suite de cet article, nous verrons de quelle façon cette approche pourrait être mise en pratique à l’échelle de votre organisation et quelles pourraient en être les conséquences.

* Les noms et certains détails ont été changés.